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Suite à leur procès, Li Shu, Huise et Hu sont bannis dans la forêt de Xuanya. Perdus dans la forêt après une première nuit difficile, ils tombent sur le campement d’une troupe de mercenaires. La bande de Nanren Shangren.
Li Shu ne pouvait pas détacher son regard de Nanren Shangren. Il était assis près du feu. Il leur tournait le dos. Li Shu pouvait voir ses bras se lever, son cou et sa tête se baisser pour porter à sa bouche un énorme morceau de viande. Elle ne l’aimait pas. Elle n’en avait pas peur, bien que si elle devait être amenée à l’affronter, elle n’aurait aucune chance. Simplement, elle ne l’aimait pas. On lui avait dit de s’en méfier. Mais ce n’était pas la raison. Au contraire, elle avait toujours apprécié les personnes qu’il fallait éviter. À Lutai, on s’était toujours montré méfiant envers elle et sa famille. Alors elle se sentait proche de ces gens qu’on laisse de côté, par crainte. Si Li Shu n’aimait pas Nanren Shangren, c’est parce qu’elle n’aimait pas les hommes providentiels. Personne ne tombe à pic pour vous aider. L’homme providentiel est soit le responsable de votre détresse, soit il espère en tirer parti. Sans le savoir, Li Shu tenait ce trait de caractère de sa mère. Il était impensable que Nanren Shangren soit responsable de leur bannissement à Xuanya. Il avait beaucoup de pouvoir à Lutai parce qu’on le redoutait, mais il n’avait pas assez de pouvoir pour influencer les prêtres de Xiajiang. Li Shu était cependant convaincue qu’il n’était pas là par bonté, et encore moins pour son frère, Hu.
Li Shu, Hu et Huise étaient tombés sur le campement de fortune des mercenaires depuis des heures maintenant. Aucun d’entre eux ne leur prêtait la moindre attention. Hu passait de groupe en groupe avec enthousiasme, attendant de savoir quelle serait la suite de leur aventure, mais pas un de lui adressait la parole. Pas même pour le faire taire ou l’envoyer paître. Tout juste émettaient-ils un son, une sorte de grognement, quand il s’approchait trop de leurs armes pour les essayer. Hu était en admiration. Il rêvait de faire partie de cette bande. De vivre caché dans la vallée malgré la condamnation, de partir à l’aventure et de revenir victorieux. Li Shu et Huise regardaient leur frère avec pitié. Il était clair que ce n’était pas ce que le groupe leur réservait. Jamais il ne serait des leurs. Hu était loin de s’en rendre compte. Il revint vers elles, la mine basse, déçu que rien ne se passe au pied des arbres. Peut-être n’étaient-ils venus là que pour leur apporter un peu d’aide, le temps qu’ils s’habituent à la forêt. Hu commençait à craindre ce qui les attendait, cependant, il tentait de faire bonne figure devant ses sœurs. Li Shu s’en inquiétait elle aussi un peu. On les avait laissés manger et se reposer sans poser la moindre condition. Même complètement saoul, les mercenaires de passage à Lutai n’oubliaient jamais de demander une contrepartie à ce qu’ils offraient aux gamins qui s’empressaient autour d’eux. Nanren Shangren n’était pas différent, Li Shu le savait. La contrepartie finirait par être réclamée.
Lorsque les rayons de soleil commencèrent à être trop faibles pour passer l’épais feuillage de la forêt de Xuanya, la petite troupe se mit en mouvement comme un seul homme. Ici, on repliait les tentes, là, on étouffait le feu, plus loin, on sellait les chevaux, partout, on effaçait les traces de passage. En quelques instants, seulement, le camp avait entièrement disparu et il fallait être un pisteur de talent pour repérer le passage d’une troupe armée à cet endroit. Un couple de mercenaire vint relever les trois adolescents qui s’étaient assoupis un peu à l’écart. En les tenant fermement par les bras, ils les amenèrent devant Nanren Shangren qui discutait avec un véritable colosse auquel aucun des trois enfants n’avait encore prêté attention. Il dominait de deux bonnes têtes Nanren Shangren et faisait au moins le triple de son épaisseur. Li Shu jaugea qu’elle devait faire, toute entière, la taille d’un de ses bras.
« Je vous présente Gongjiang, le présenta avec enthousiasme Nanren. »
Les trois enfançons tressaillirent, mais les deux mercenaires les retenaient de toute leur poigne. D’un geste, Nanren Shangren leur donna l’ordre de les relacher. Li Shu aurait voulu courir, mais ses jambes préféraient trembler de peur et rester là. Il en allait de même pour Hu et Huise. Gongjiang laissa tomber un sac qui fit un bruit métallique, faisant sursauter les trois enfants. Le sac de toile épaisse recracha un petit morceau de chaine, qui resta pendu à sa gueule.
« Des esclaves ! s’écria
Li Shu.
– Bien, je vois que vous avez déjà compris, ça nous permettra d’aller plus
vite, commença Nanren. Si nous voulons pouvoir traverser la vallée sans
encombre, il faut que nous prétendions que nous vous avons capturé aux abords
de la forêt de Xuanya. Selon les lois en vigueur, et puisque vous êtes des
bannis, vous nous appartenez donc et nous pouvons aller vous vendre là où bon
nous semble. Nous vous libérerons une fois sortis de la vallée, mais avant,
nous devons vous enchaîner.
– C’est hors de question, l’arrêta sèchement Li Shu.
– Je vous laisse le temps d’un sablier pour y réfléchir. Mais soyons clairs,
soit vous sortez de cette forêt avec mes chaînes aux pieds et aux mains et vous
finirez libres, soit vous en sortirez avec les chaînes d’un autre, et je ne pourrai
rien garantir pour vous. »
Nanren et Gongjiang les laissèrent là, sous la garde menaçante du sac d’entraves.
« Moi, je veux les suivre. »
Li Shu se retourna vers son frère et sa sœur. Ce n’était pas Hu qui avait osé briser le silence. C’était la voix douce et claire de Huise. Elle fit un pas en avant, déterminée. Dans l’obscurité naissante, Li Shu pouvait deviner son regard, dur comme la roche.
« A quoi bon rester ici de
toute façon ? Lutai ne veut plus de nous, et nous sommes prisonniers de
cette forêt ! Est-ce que je peux faire confiance à Nanren Shangren ?
Je n’en sais rien. Mais je sais que je ne peux plus faire confiance aux
habitants de cette vallée. Si nous restons ici, nous mourrons, tous les trois.
– As-tu seulement la moindre idée de ce qu’ils feront de toi s’ils te vendent
comme esclave ? s’indigna Li Shu.
– Non, mais j’aurais au moins une chance de m’échapper. Et s’ils nous font
vraiment sortir de la vallée ? S’ils nous offrent vraiment la
liberté ? S’ils nous permettent de vivre une autre existence ? S’ils
nous offrent un avenir, une destinée ? Est-ce que tu voudrais refuser
cette chance ? s’envola Huise, pleine d’espoirs.
– Ils vont vous mettre des chaînes au cou ! Ils vont vous attacher les
pieds ! Et vous allez les laisser faire, sans même vous défendre !
– Tu es trop bête Li Shu, l’arrêta Huise. Tu resteras enfermée ici toute ta vie
parce que tu n’oseras jamais aller voir ce qu’il y a en dehors de la
vallée ! Nous ne venons même pas d’ici, voilà des années que nous aurions dû
partir ! Partir pour essayer de retrouver nos racines, pour comprendre qui
nous sommes ! Lutai m’a déjà enfermée ! Elle nous a enfermé tous les
trois, et elle nous a envoyé ici ! Nanren Shangren ne m’a jamais fait de
mal ! Je préfère lui faire confiance à lui plutôt qu’à Lutai !
Personne ne viendra nous sortir d’ici ! Et ni toi, ni personne ne me
retiendra dans cette prison. Alors saisies cette chance Li Shu, partons d’ici
tous les trois ! Hu, tu viens, n’est-ce pas ? »
Le garçon releva la tête. Il ne voyait plus que les silhouettes de ses sœurs. Celle longue et fine de Huise, celle plus petite de Li Shu. Le matin même, il ne se serait pas posé de question. Il aurait même abandonné ses sœurs pour partir avec Nanren. Mais durant tout le jour, les hommes et les femmes de la bande de Nanren l’avaient complètement ignoré. Il s’était senti comme un moins-que-rien avec eux. À Lutai, tout n’était pas parfait, mais au moins on lui parlait, on lui accordait de l’attention. Et il était impensable qu’ils soient bannis bien longtemps ! Les prêtres reviendraient sur leur décision, ils se rendraient compte de leur extrême sévérité, et on viendrait les chercher. Hu le sentait au plus profond de lui-même, il ne finirait pas sa vie dans cette forêt. Il ne finirait pas sa vie à Lutai, mais ce n’était pas le moment de partir. Pas encore.
« Je ne crois pas, Huise. Je
crois que nous devrions patienter. Il est encore trop tôt pour nous pour
partir. On ne sait pas ce qui nous attend en dehors de la vallée. Notre mère
nous a amenés ici pour nous protéger. Nous n’avons même pas su nous défendre
contre les habitants d’une vallée où plus personne ne fait la guerre depuis des
années ! J’ai entendu les récits des soldats et des guerrières, je les ai
écoutés durant des nuits entières. En dehors de la Vallée de Lutai, la guerre
est partout. Comment nous en sortirons-nous ? Tu devrais rester avec nous
Huise, on trouvera un autre moyen, je te le promets.
– Tu es encore plus lâche qu’elle ! le gifla Huise en courant vers Nanren
Shangren, suivie par Li Shu. »
Huise prit Nanren Shangren dans les bras. Elle lui arrivait tout juste au niveau de sa poitrine et ses bras parvenaient à peine à faire le tour de la carcasse du mercenaire. Elle les suivrait, elle leur ferait confiance. Li Shu regarda la scène avec dégoût. Elle n’aurait jamais imaginé que Huise soit celle qui cèderait à cet odieux chantage. Elle se précipita sur sa sœur, l’attrapa par le sol et la tira de toutes ses forces pour la détacher du mercenaire. Déséquilibrée, surprise, Huise tomba à terre de tout son long.
« Je devine que tu ne viendras
pas, Li Shu, soupira Nanren.
– Non, elle ne vient pas ! Et c’est aussi bien comme ça, cria Huise, toujours
les fesses sur le sol.
– Pourquoi faites-vous ça, Nanren ? Pourquoi est-ce que vous nous aidez ?
Qu’est-ce que vous attendez de nous ?
– Je n’attends rien de vous. Je n’aime ni l’injustice, ni l’hypocrisie. J’aime
encore moins le gâchis. Alors, vous trois, condamnés à mourir ici, je trouve ça
dommage. Je viens vous offrir une porte de sortie.
– Pour nous vendre ensuite ? Trois adolescents en bonne santé, dont deux filles,
on doit valoir une belle petite somme ! Je les ai entendus, les marchands
d’esclaves à Lutai, ils proposent sans cesse d’acheter les gamines de la vallée !
Et vous aussi, vous le faites !
– C’est vrai Li Shu, il m’arrive de vendre des esclaves, mais ce n’est
absolument pas mon intention vous concernant, répondit-il avec un calme
déconcertant.
– Vous mentez !
– Tais-toi Li Shu ! Tais-toi ! s’interposa Huise qui s’était relevée.
Tu es trop idiote pour te rendre compte que Nanren est la seule personne qui
viendra nous aider ! Alors reste ici, si tu veux, mais n’essayes pas de te
convaincre que tu prends la bonne décision, parce que tu n’y arriveras pas ! »
Nanren posa une main sur l’épaule de Huise. Il était largement temps de partir.
Le chemin jusqu’à l’orée de la forêt se fit en silence. Huise marchait à côté de Nanren, la tête haute, plusieurs pas devant Hu et Li Shu, qui fermaient la marche. À l’approche de l’orée, la troupe s’arrêta et deux éclaireurs allèrent s’assurer que personne ne guettait à l’entrée du chemin de la Vallée. Tout était calme. La troupe reprit son pas. Huise s’immobilisa à la limite de la forêt de Xuanya. Elle se retourna vers Li Shu et Hu qui se tenaient quelques pas derrière elle. Ils n’étaient plus que tous les trois dans la forêt. Plus que tous les trois sur le territoire des bannis. Ils n’étaient plus sûrs que d’une chose. Ils étaient tous les trois, ensemble, pour la toute dernière fois. Li Shu devinait les larmes qui coulaient le long des joues de Huise, des larmes de lune. Elles brillaient sous la lumière de l’astre de la nuit.
« Venez avec moi. Li Shu, Hu, ne me laissez pas toute seule, ne m’abandonnez pas, chuchota-t-elle dans un sanglot. »
Mais sa complainte fut emportée par le vent. Li Shu et Hu ne bougèrent pas. Ils en avaient envie, ça les brûlait de l’intérieur, pourtant, ils en étaient incapables. Ils étaient tétanisés à l’idée de perdre leur sœur. Tout le chemin, ils avaient espéré qu’elle se retourne, qu’elle renonce. Elle n’avait plus qu’un pas à faire et elle les quitterait à tout jamais. Ils étaient incapables de l’en empêcher, comme deux chatons paralysés face au danger.
« Huise, nous devons y aller, l’appela calmement Nanren Shangren.
– Pardonnez-moi… laissa s’échapper dans un dernier chuchotement Huise. »
Elle fit volte-face, releva la tête et s’essuya la figure à l’aide de son poignet, tentant d’effacer les larmes, la morve et les pleurs. Li Shu et Hu la virent faire le dernier pas. Elle était sortie de la forêt de Xuanya. Huise était partie. Hu s’effondra par terre. Li Shu n’en eut pas l’énergie. Le bruit des chaines que Gongjiang mit aux chevilles, aux poignets et au cou de Huise glaça plus encore le sang de Li Shu. Elle ne put plus que distinguer le son de la troupe qui s’était mise en marche, rythmé par le cliquetis des chaînes. Une pulsion traversa alors tout le corps de Li Shu et elle courut jusqu’à la limite de la forêt pour voir sa sœur s’éloigner. C’était elle qui ouvrait la marche et, tous la suivaient respectueusement. Le visage de Li Shu s’éclaira d’un sourire inondé de larmes. Elles avaient fait le bon choix.
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