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L’épopée de Li Shu. Chapitre 5 : Rattrapée!

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Chapitre 4. Lutai

Arrivés à Lutai, Ramady et ses enfants sont hébergés par Shi et Zhenzhu, mais leur intégration au village est compliquée. Ramady finit par comprendre qu’elle n’est plus à la cour d’Echèse et qu’elle doit participer aux tâches quotidiennes de Lutai.

« Eh toi, tu viens des monts Mizrab ? »
Shang arrêta son charriot. L’homme de garde s’approcha, lance à la main. Il le
dévisagea et fit le tour du charriot.
« Alors, réponds ! Tu viens des monts Mizrab ?
– Oui Seigneur soldat, de la vallée de Lutai.
– Ouvre donc tes sacs, chien !
– Pourquoi Seigneur soldat ?
– Ne discute pas ou je les perce de la pointe de ma lance et tu perdras tes
précieuses épices ! »
Shang descendit de son charriot et ouvrit les sacs de chanvre un par un. Le
soldat plongea sa lance à chaque fois, sans jamais trouver ce qu’il cherchait.
« Tu peux t’en aller, mais prends ça avant. C’est une fugitive, dis aux
gens de ton village que notre Roi offre mille pièces d’or pour qui la lui
ramènera, des fois qu’elle voudrait se réfugier dans vos montagnes de
sauvages ! »
Shang prit le papyrus que l’homme lui tendait. Il reconnut immédiatement le
portrait de Ramady tracé à l’encre noire. Un frisson lui parcouru la colonne,
il déglutit.
« Eh bien quoi manant, tu ne voulais pas t’arrêter et voilà que tu ne veux
plus partir ! Tu connais cette femme ? Sinon déguerpis
d’ici ! »
Shang froissa le papyrus dans sa main et remit son charriot en route.


Lorsqu’il arriva à Lutai, une joyeuse clameur avait envahi la vallée de Lutai dans la douceur de la nuit. Autour de la place centrale du village, les lampions scintillaient, étoiles aux mystérieuses couleurs illuminant les festivités. Sur la scène centrale, des villageois jouaient une pièce, le visage masqué par des figures caricaturales. La Pluie cherchait à convaincre la Sécheresse et son frère le Soleil de s’en aller mais ceux-ci refusaient, préférant l’empêcher d’arroser les terres. Alors la Pluie vendit son âme aux Nuages, éternels ennemis du Soleil, pour qu’ils chassent l’astre. La Sécheresse, ne trouvant plus son frère fuit alors à son tour. La Pluie célébra sa victoire, mais lorsqu’elle voulut faire pleuvoir comme elle savait le faire, les Nuages lui rappelèrent qu’elle leur avait vendu son âme et que dorénavant ce seraient eux qui décideraient s’il fallait faire pleuvoir ou non. Depuis la Pluie ne peut aller sans les Nuages. Lorsque la pièce fut terminée, tout le village entonna les chants traditionnels qui marquaient le commencement de la saison du riz. Un peu à l’écart, sur de grands brasiers, deux cochons et une biche chassés par Lieren rôtissaient au-dessus des flammes. Dans de grands plats de fonte on cuisinait toutes sortes de légumes avec des mélanges d’épices dont les odeurs remplissaient l’air ambiant et les poumons. Shang était rentré d’Alhadiqa juste à temps avec sa charrette pleine de cannelle, muscade, cumin, clou de girofle, safran, poivre, vanille et autres merveilles culinaires qui permettaient que la fête du riz soit un succès. Le zèle du soldat à la porte d’Alhadiqa lui avait fait perdre du temps. Plus encore, la ville était en état de siège et seules deux portes étaient ouvertes, ce qui permettait de mieux contrôler les accès. Partout dans la ville, on parlait de la voleuse d’enfants et de la récompense promise par Tebekh. Chaque jour des patrouilles fouillaient des habitations au hasard. En représailles, la maison familiale de Ramady avait été brûlée, Shang était passé devant. Ramady lui avait demandé d’essayer de lui ramener quelques affaires qu’elle avait dû laisser là-bas. Il n’avait trouvé qu’un tas de ruines fumantes. C’est là qu’on lui avait d’abord expliqué qu’elle était recherchée.
« Tu n’as rien dit ? demanda Ramady, inquiète.
– Non, évidemment que non. J’ai fait comme d’habitude, je vends mes marchandises, j’achète mes épices et je suis parti. Mais regarde, ils m’ont donné ça, je t’ai tout de suite reconnue dessus. »
Il tendit le papyrus froissé à Ramady qui poussa un cri de stupeur. On la reconnaissait trop bien, elle ne pourrait rentrer à Alhadiqa avant longtemps.
« Ils en distribuent à tous les gens qui sortent de la ville en promettant mille pièces d’or à qui ramènera des informations. Les marchands qui passent par Alhadiqa et qui viennent dans les Monts Paishui Gou sont nombreux, bientôt toutes les vallées des alentours sauront que tu es recherchée. Et pour mille pièces d’or certains n’hésiteront pas.
– Ont-ils parlé de mes enfants ? Ils n’en disent rien sur ce papyrus.
– Non Ramady, ils disent que tu as volé des enfants, mais ils ne parlent que de toi. »
Ramady tourna son regard vers Hu, Huise et Li Shu qui jouaient autour du feu avec les autres enfants du village. Ça se voyait qu’ils n’étaient pas de Lutai, mais on ne les recherchait pas, peut-être qu’elle pourrait les sauver. Sur les tables, les plats de viandes et de légumes passaient en abondance. L’alcool de riz de l’année dernière était servi en excès. Au son des tambours et des cornes de bois et d’ivoire, les femmes et les hommes les plus éméchés commençaient à danser sur les tables, renversant les verres et les assiettes. Ramady se servit deux grands verres de vin de riz qu’elle but d’une traite en trinquant avec Shang. Elle l’embrassa sur la joue, le remercia de l’avoir prévenue et de n’avoir rien dit puis elle monta sur une table à son tour, rejoignant l’insouciance et l’allégresse générale.


La petite troupe arriva en fin de matinée au village. La
plupart des habitants étaient dans les rizières en terrasse, repiquant le riz.
La quinzaine de cavaliers en trouva quelques-uns qui finissaient de cuver leur
vin, avachis dans des coins de la place centrale. Elle gardait les séquelles de
la soirée de la veille. Le foyer où les viandes avaient rôti fumait encore. Les
tables renversées gisaient sur le sol et l’estrade des comédiens et des
musiciens n’avait pas été démontée. Le sol de terre battue collait d’une gadoue
mêlant poussières, vin renversé et déchets alimentaires. L’une des soldates de
la troupe réveilla l’un des ivrognes d’un coup de pied. Il manifesta sa
désapprobation par un long râle. Lao, une vieille du village sortit de sa
maison, découvrant cette troupe en arme. Ce n’était pas rare que des compagnies
de soldats fassent une halte dans la vallée. Lutai se situait sur une voie
discrète entre deux grands empires, alors des mercenaires faisaient parfois
étape au village, entre deux contrats ou deux batailles. Elle s’approcha d’eux
avec un grand bol d’eau pour leur signifier qu’ils étaient bienvenus. L’homme
de tête renversa le bol d’un coup de bâton de commandement et fit tomber Lao
d’un coup de pied.  Il fit ensuite
rassembler les quelques habitants qui restaient au village et leur ordonnèrent
d’aller chercher tous les habitants de la vallée. Lao refusa et dit aux autres
de ne pas bouger. On ne commerçait pas avec telle engeance, ils n’avaient qu’à
passer leur chemin. Le chef de troupe mit pied à terre. Il portait une armure
de maille serrée recouverte d’une tunique brodée représentant un faucon en vol.
Son visage était masqué par un heaume aux grimaces terrifiantes, reprenant les
traits des créatures de légendes. Une bouche au sourire difforme occupait toute
la partie basse du casque alors que des yeux pointus fixaient Lao. Au-dessus,
trois cornes d’ivoire partaient dans trois directions opposées. Il sortit une
dague de son fourreau, la glissa contre la gorge de Lao et vociféra de nouveaux
ses ordres. Gai Danxin, tremblant, se précipita vers les rizières. La rumeur se
répandit rapidement dans la vallée. Une troupe en arme tenait Lao en otage et
réclamait que tout le monde se rende immédiatement sur la place centrale.
« A quoi ressemblent-ils ? demanda Ramady à Gai Danxin.
– Il y a des hommes et des femmes, ils sont armés jusqu’aux dents. Leur chef
porte un masque chimérique, on le dirait tout droit venu de la légende de
Chuanshuo. C’est lui qui retient Lao en otage. Sur sa tunique il y a un rapace
qui vole dans un ciel d’étoiles dorées.
– Le Khadim… murmura Ramady.
– Tu connais ces hommes ? demanda Gongping.
– Oui, ils viennent de mon pays. Il faut que je me cache. Allez sur la place,
ils ne vous feront pas de mal, je crois. Mais ne parlez ni de moi ni de mes
enfants. »


Le Khadim était monté sur la petite estrade, accompagné
d’une guerrière et d’un crieur public du village sur qui était pointée l’épée
de la soldate. Les autres membres de la troupe gardaient les points d’entrée de
la place. Tous les habitants de Lutai, du plus jeune au plus vieux étaient
entassés sur la place où ils festoyaient encore la veille. Le Khadim tendit un
papyrus au crieur public. Sous la menace de l’arme, il déroula le message et le
déclama.
« Tebekh, roi du Royaume d’Echèse offre une récompense de mille pièces
d’or à toute personne qui l’aidera à trouver ladite Ramady, poursuivie pour
rapt d’enfants princiers, trahison et magie noire. Toute personne aidant ladite
Ramady à se soustraire à la justice de Tebekh sera considérée comme ennemi du
Royaume d’Echèse et sera traitée comme tel. »
Le Khadim ouvrit un sac de toile et le renversa sur l’estrade, découvrant un
véritable trésor. Puis il fit monter un homme de troupe avec lui.
« Dis-moi, lequel de ces habitants est celui qui a reconnu le portrait de
Ramady hier à Alhadiqa ? »
L’homme scruta attentivement tous les visages terrorisés qui se présentaient
devant lui. Il était physionomiste, ça faisait partie des qualités que l’on
demandait à un garde du guet et c’était un bon guetteur. Il désigna sans
hésiter Shang. Un homme et une femme de la troupe le saisirent par les épaules
et l’amenèrent à son tour sur l’estrade sous les cris de la foule qui n’avait
que ce moyen de protester. Le Khadim lui tendit le portrait de Ramady.
« Tu connais cette personne, tu l’as reconnue hier. Où est-elle ?
l’interrogea le Khadim.
– C’est… C’est faux, je ne la connais pas, je ne l’ai jamais vue.
– Il ment Khadim ! s’exclama l’homme de guet. Dès qu’il a vu son portait,
il est devenu blême et tremblant ! »
Le Khadim ressortit la dague de son fourreau. Il prit Shang par le cou, le mit
à genou et lui colla la dague sur la tempe droite.
« Je te laisse une chance de me dire où est Ramady, sans quoi tu mourras,
tous les gens de ton village seront réduits à l’esclavage et je détruirai tout
ce qu’il y a ici. A toi de faire ton choix, je la trouverai de toute
façon. »
Shang déglutit. Des larmes coulaient de ses yeux, silencieusement. Il tenta de
trouver de l’aide dans les regards qu’il croisait. Il tentait de voir si on lui
disait quoi répondre. Peut-être que quelqu’un lèverait la main et délivrerait
la précieuse information avant lui. La vie de Ramady contre la sienne, celle
des autres, était-il juste de sacrifier tout le village ?
« Retiens ton bras l’homme, cria Zhenzhu au fond de la foule. Cet homme ne
mérite pas la mort. Demain je te mènerai jusque Ramady. Si je ne le fais pas,
tu pourras faire ce que tu veux de nous. Nous ne sommes pas en mesure de nous
défendre contre l’armée d’Echèse.
– C’est entendu. Mais au moindre signe de trahison de l’un d’entre vous, je
mettrai mes menaces à exécution. Prenez ceci comme un avertissement. »
D’un geste vif, il taillada le côté droit du visage de Shang puis le repoussa
dans la foule. Il fit un signe du bras et la troupe se mit en route vers
l’entrée du village pour y installer leur campement. Avant d’être hors de vue,
le Khadim se retourna et cria à Zhenzhou.
« N’oublie pas de dire à Ramady qu’elle vienne avec ses enfants. »


Ramady s’était réfugiée dans sa remise avec Hu, Huise et Li
Shu. Elle sursauta lorsqu’elle entendit des bruits de pas se rapprocher de la
porte. Ils n’étaient pas nombreux. Elle prit le seul couteau qu’elle avait et
se positionna entre la porte et ses enfants. Shi et Zhenzhu ouvrirent la porte.
Elle était tétanisée. Ils la prirent dans leurs bras pendant de longues minutes
puis ils s’installèrent autour de la table.
« Ils menacent de tous nous tuer ou pire, commença Zhenzhu abattu.
– Tu ne peux pas sacrifier le village pour tes enfants ou ta vie lui dit Shi
avec compassion.
– Je sais, soupira Ramady.
– Nous devons te livrer demain matin, soupira Zhenzhu.
– Est-ce qu’ils ont parlé de mes enfants ? demanda Ramady.
– Ils les veulent aussi.
– Mais en ont-ils parlé ?
– Que veux-tu dire ? demanda Shi, perplexe.
– Est-ce qu’ils savent qu’ils sont en vie ?
– Non, enfin, je ne crois pas, personne ne leur en a parlé.
– J’ai besoin que vous me rendiez un service alors.
– Tout ce que tu voudras ! appuya Shi.
– Prenez mes enfants et cachez-les. Elevez-les comme si c’étaient les vôtres,
et parlez-leur de moi pour qu’ils ne m’oublient pas.
– D’accord Ramady, mais ils voudront tes enfants.
– Je m’occupe de ça. »


Le lendemain matin Zhenzhu alla trouver le Khadim et sa
troupe et il les mena jusque la remise où vivait Ramady. Ramady sortit dès
qu’elle les entendit. Le Khadim portait son masque mais elle reconnut sa
tunique. Elle portait un maigre baluchon, les quelques affaires qui lui
restaient.
« Où sont tes enfants, Ramady ?
– Tu ne te découvres plus devant ta Reine, Khadim ?
– Ne perdons pas de temps Ramady, fais sortir tes enfants et allons-nous en, la
route est longue.
– Retire ton casque devant moi Khadim, il fut un temps où tu savais encore me
traiter avec le respect dû à mon rang.
– Tu n’es plus rien Ramady, regarde-toi. Tu vis dans une remise avec des habits
de gueux. Mais soit. »
Le Khadim enleva son heaume, découvrant son visage, à moitié rongé, comme
brûlé.
«  Le cadeau de Tebekh parce que je t’ai laissée t’enfuir une première
fois. Je ne recommencerai pas, dit-il en remettant son masque. Fais sortir tes
enfants qu’on en finisse.
– Mes enfants sont morts Khadim ! Grâce aux bons traitements qu’Alhadina
me prodiguait pendant ma grossesse ! Ils ont pourri en moi, comme ton visage
est pourri ! J’ai donné naissance à des monstres mort-nés, parce que tu
les as laissés faire ! Alors je ne pleurerai pas pour ton visage !
Tebekh me veut, je te suis. Il veut mes enfants, je te laisse les
déterrer. »
Elle désigna trois petites tombes creusées sur le côté de la remise. Khadim ordonna
à deux de ses soldats de fouiller la remise, puis il fit creuser à
l’emplacement des tombes. Ils découvrirent trois  petits corps informes en putréfaction.
« Voilà ce que grâce à toi Khadim, j’ai fait sortir de mon corps, voilà le
genre de choses auxquelles on m’a fait donner vie. Alors oui, allons-nous en,
et laissons ces pourritures ici.
– Non, nous les ramenons à Tebekh. Mettez-les dans une boîte, nous trouverons
au village de quoi les conserver avant qu’ils ne se putréfient pleinement.
Tebekh et Alhadina voudront les voir. En avant ! »
Avant de monter sur son cheval, Ramady embrassa une dernière fois Shi et
Zhenzhu.
« Je reviendrai, je ne sais pas quand, mais je reviendrai, prenez soin
d’eux.
– Nous le ferons Ramady, va sans crainte, la rassura Shi.
– Quels sont ces monstruosités que tu fais passer pour tes enfants ?
murmura Zhenzhu.
– Des cadavres putréfiés de chatons. Ils n’y verront que du feu, vous êtes
saufs. »
Ramady se mit en selle. Elle fit cabrer son cheval, affichant un grand sourire.
La troupe se mit en route.
« Tu es bien joyeuse, Ramady. Remarqua le Khadim.
– Je m’ennuyais de mon pays. Et de monter à cheval.
– Tebekh ne te pardonnera pas d’avoir voulu le tromper ainsi.
– Et je ne lui pardonnerai pas non plus, alors nous sommes quittes.
– Est-ce qu’ils ont un nom ?
– Qui ?
– Tes enfants, Ramady.
– Non, ceux-là n’ont jamais eu de nom, souffla-t-elle. »
Ils descendirent jusqu’au village, le traversèrent sous les yeux médusés et
dans le silence des villageois. Lorsqu’ils passèrent la stèle qui marquait
l’entrée de la vallée de Lutai, Ramady murmura.
«  Zaijian Hu, Hui Se, Li Shu.
– Qu’est-ce que ça signifie ?
– C’est une prière que fait ce peuple lorsqu’il quitte sa vallée. Je crois que
ça leur portera chance. »


Chapitre 6 : Bâtards!


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